"Madame Bovary" en classe de Seconde : une oeuvre en procès - Lettres - Académie de Normandie

"Madame Bovary" en classe de Seconde : une oeuvre en procès

Comment lire "Madame Bovary" en classe de Seconde aujourd’hui ? Comment engager les lycéens dans la lecture de ce roman patrimonial complexe ?
Telles sont les questions à l’origine du projet imaginé puis mis en oeuvre par Nathalie SAUMON-MENIER dans le cadre des TraAM 2021-2022.

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METTRE EN SCENE LE PROCES DE "MADAME BOVARY" POUR PERMETTRE AUX ELEVES DE REVELER LEUR LECTURE DU ROMAN.
UN PROJET PRESENTE DANS LE CADRE DES TRAAM 2021-2022.

Avant-Propos :

  Une observation : les travaux issus de l’école de Constance nourrissent désormais largement les pratiques de lecture en classe. Le travail de la réception constitue en effet un moment clé de la lecture d’une œuvre.
L’histoire de la réception du roman de Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, est par ailleurs très riche, marquée dès la publication de l’œuvre en 1857, par un procès en immoralité.

 Hypothèse de travail :
1-Tisser liens et échos entre la réception de 1857 de l’œuvre et celle de 2022, par des lycéens de Seconde, afin de renouveler l’intérêt des élèves pour le roman et le soutenir dans leur lecture.
2- Mener un travail de recherche pour permettre aux élèves de comprendre la réception de l’œuvre en 1857 afin d’enrichir leur propre réception, au service de l’interprétation du roman.
3- Incarner, par la mise en scène du procès de 1857 en 2022, la lecture du roman de FLAUBERT.

 Pourquoi ce projet ?

La célébration du bicentenaire de la naissance de l’écrivain au cours de l’année 2021-2022 a été l’occasion de proposer à de jeunes lycéens de Seconde de découvrir un écrivain majeur du patrimoine littéraire.
Le travail s’inscrit plus précisément dans l’objet d’étude " Le roman et le récit du XVIIIe siècle au XXIe siècle."
Pour autant, lire un tel roman représente un réel défi. L’incarnation du procès de 1857, à la manière d’un oral de fiction partagée au sein du lycée sous la forme d’un fiction radiophonique, a constitué à la fois le levier et la démarche centrale du projet pour conduire l’étude du roman et engager les élèves dans la lecture.

Plusieurs champs de compétences ont été travaillés au cours de ce projet :
 Des compétences de lecture tout d’abord : le développement de l’autonomie de lecture et d’interprétation fine des textes, la constitution d’une culture littéraire ;
 Des compétences d’écriture ensuite : l’engagement dans la production d’écrits variés, révélant une pensée aiguisée comme une appropriation fine des textes : le journal de lecteur, des écrits d’invention et d’appropriation préparatoires à la mise en voix du procès (rédaction à plusieurs mains d’un plaidoyer et d’un réquisitoire) ;
  Des compétences orales également : des oraux de travail sous la forme de débats spontanés afin de partager sa lecture et de défendre son point de vue ; le développement d’un propos personnel continu afin de donner voix à la réception double de l’œuvre, en 1857 et en 2022.
 Des compétences citoyennes enfin : apprendre à traiter des questions éthiques en interrogeant les liens entre littérature et moralité, discuter, réfuter, nuancer une opinion, développer sa connaissances du système judiciaire, reconstituer un procès.

Parmi les 5 domaines du CRCN, plusieurs ont été travaillés au cours du projet :
 Domaine 1- Informations et données : la pratique d’une veille informationnelle afin de rassembler les traces numériques du procès de 1857.
  Domaine 2 – Communication et collaboration : S’insérer dans le monde numérique en apprenant à enregistrer puis à partager des données (la fiction radiophonique).
 Domaine 4- Création de contenus  : sécuriser l’environnement numérique et protéger les données personnelles des élèves.
 Domaine 5- Environnement numérique  : Construire un environnement numérique de travail au service de la lecture et de l’interprétation d’une œuvre littéraire.

 Chronologie du projet :

Le travail de lecture s’est étendu sur l’ensemble de l’année, de manière filée, après une séquence d’entrée dans l’œuvre réalisée au retour des vacances d’octobre 2021. La mise en scène du procès a été réalisée au cours du dernier trimestre 2022, en partenariat avec le professeur en charge du studio radio.
Au préalable, le traitement de l’objet d’étude "La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle" avait permis de sensibiliser les lycéens au discours médiatique et à son évolution, à travers l’analyse d’articles rendant compte du procès de 1857.
La lecture du roman et le projet associé ont ainsi constitué le fil conducteur de l’année, en alternance avec le travail mené en lien avec les autres objets d’étude du programme.
Le journal de lecture, dans cette perspective, est devenu un outil essentiel pour maintenir le lien et soutenir l’engagement continu, sur un temps long, des élèves.

 Les étapes du projet :

 Etape 1 : Une œuvre en procès

Cette première étape est un préalable à la lecture de l’œuvre. Elle se fonde sur le partage d’une citation extraite d’une plaidoirie de l’avocat de FLAUBERT, maître SENARD :

« le tableau vrai de ce qui se rencontre le plus souvent dans le monde »

Les élèves ont été ainsi invités, en prenant appui sur les ressources du web, à comprendre le débat littéraire et éthique déclenché par la publication du roman.

Les lycéens ont ensuite partagé, en groupes de travail, le fruit de leurs recherches :
 On accuse Gustave Flaubert de ne pas suivre les règles de la société dans laquelle il vit : c’est la période de la révolution industrielle qui entraîne des bouleversements très importants.
 La France n’est pas stable politiquement, il y a des bouleversements sociaux.
 C’est l’adultère qui est le motif d’accusation. C’est l’adultère qui entoure le roman de scandales, qui en fait "un roman scandaleux".
 FLAUBERT a une très haute vision de l’écriture et des écrivains. Il dit que les auteurs sont comme des dieux.
 FLAUBERT est une "star" du milieu littéraire.
 Ernest PINARD émet une fragile attaque, il n’a pas perçu les véritables intentions de Flaubert dans ce roman.
 Ce livre provient d’un fait divers que l’auteur a réécrit en fiction.
 Le procès épuise l’écrivain, qui ensuite ne peut plus écrire.

 Etape 2 : Le travail des comités de lecture

Dans un second temps, les groupes de recherche, devenus comités de lecture, prennent appui les axes principaux de l’accusation de 1857, pour entrer dans l’œuvre et constituer un corpus de preuves.

Il s’est agi ici de réinvestir l’histoire de la réception de l’œuvre pour soutenir la réception de 2022.
Historiquement en effet, du 29 janvier au 28 juillet 1957, tout s’est passé dans la sixième chambre du tribunal correctionnel. Durant cet examen, il a été question de créer des comités de lecture, et les lecteurs devaient porter leur attention sur les comportements d’Emma et démontrer que Flaubert, à travers les actes du personnage, établissait une apologie de l’adultère.
Les comités 2022 ont eu pour objectif de découvrir ce que Flaubert souhaitait transmettre à ses lecteurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Les élèves ont ainsi pris le temps, en classe, de découvrir le livre tout en s’aidant des ressources du web, pour retrouver des "passages clés" de l’œuvre. Ils ont confronté leurs idées, partagé des passages à l’oral, à la manière du "gueuloir" de l’auteur lui-même, tout en bénéficiant des conseils du professeur.

Les lycéens ont poursuivi en autonomie ce travail de recherche initié en classe en prenant des notes dans leur journal de lecteur.

Deux exemples de journaux de lecteurs rédigés au cours du premier semestre, avec en fil rouge la lecture du roman de FLAUBERT. Tous deux révèlent, même si les compétences de lecture sont différentes, un engagement et un cheminement réflexif :

Journal-lecture-Eleve-1

 Etape 3 : La réécriture du procès, au service de l’appropriation de l’œuvre

Forts de leur lecture, les élèves ont pu s’engager dans la rédaction d’un écrit d’appropriation qui constitua un nouveau jalon dans l’élaboration du projet, au mois de janvier 2022.
Le procès sert de point d’ancrage pour engager les élèves à révéler leur lecture comme leur connaissance de l’œuvre.

Sujet 1 : Le 29 janvier 1857, deux journalistes discutent devant le tribunal correctionnel de Paris en attendant l’ouverture du procès intenté à FLAUBERT. Ils s’opposent sur la tenue du procès : ce dernier est-il justifié ? Le roman doit-il être interdit à la publication ?
Vous rédigerez le dialogue entre ces deux journalistes, en mettant clairement en avant la divergence de leurs opinions et leurs arguments respectifs.

Sujet 2  : Vous réécrirez un passage du roman, en le mettant en scène dans le cadre d’un dialogue théâtral entre deux personnages, au choix, du roman, s’interrogeant sur la moralité du personnage d’Emma.
Vous veillerez à respecter les caractéristiques du genre théâtral, la personnalité des différents personnages du texte et leurs rôles respectifs. Vous mettrez clairement en valeur les arguments opposés des personnages sur la question de la moralité du personnage d’Emma, voire de l’œuvre (on pourrait imaginer que les personnages apostrophent l’auteur.

Ce travail d’appropriation a ensuite nourri la réécriture collective du procès, dans une nouvelle modalité fictive, que l’on peut lire en pièce jointe.

Ecrit-Appropriation-PROCES

 Etape 4 : Donner voix au travail de réceptions croisées de l’œuvre

Les élèves, au terme de l’année, ont pu enregistrer leur travail d’écriture sous la forme d’une fiction radiophonique mettant en scène le procès réécrit de l’œuvre.
La préparation de cet oral final de fiction constitue le terme de l’étude proposée. Par leurs voix, les lycéens révèlent leur engagement comme leurs compétences aiguisées de lecteurs et d’interprètes.
La fiction radiophonique permet enfin de garder trace du cheminement mené dans l’œuvre, à la faveur d’une relation étroite, vivante et sensible, avec l’œuvre de FLAUBERT.

Découvrez ci-dessous la préparation de l’émission en classe : la répétition du procès

Ecoutez enfin la fiction radiophonique en podcast, révélant la progression du travail et la prise de confiance des élèves en leurs capacités orales.


Bilan :

 Des difficultés logistiques ont été rencontrées : l’enregistrement au sein du studio de radio a été une riche expérience. Pour autant, les contraintes techniques liées aux conditions d’enregistrement mais aussi au nombre de micros disponibles a accru le temps initialement prévu pour l’activité finale du projet, qui a constitué en revanche une source de motivation constante pour les lycéens.
 La lecture du roman fut un défi, que tous les élèves n’ont pas également relevé. Cependant, le travail de recherche collaborative d’une part, les différents écrits d’appropriation proposés et partagés d’autre part, ont permis à tous de cheminer dans l’œuvre et d’en garder trace.

 La plus-value du projet :
 Le travail progressif de mise en scène du procès a soutenu la lecture. Le recours à l’écrit fictionnel d’appropriation est un levier très efficace pour engager les élèves dans la lecture de l’œuvre résistante.
 La lecture du roman, au travers du projet, est devenue une expérience de vie porteuse de sens pour les lycéens.