1. Objectifs de l’expérimentation
Le projet que j’ai mené pour l’entrée de programme « se raconter, se représenter » était tourné vers la rédaction de fragments autobiographiques après chaque étude de texte. La compétence majeure de la séquence étant l’écriture, j’ai voulu rendre accessible l’exercice à tous. En effet, dans la classe de troisième dans laquelle j’enseigne, j’ai cette année des élèves de profils très différents : si certains maîtrisent brillamment l’exercice d’écriture, la majorité manque de vocabulaire, et une poignée est en grande difficulté.
Pour pasticher Mallarmé, je dirais que ce n’est pas avec des idées qu’on écrit un pacte autobiographique, mais avec des mots. Or, le déficit de vocabulaire rend la tâche de rédaction ardue. C’est pourquoi il me semble que l’on peut utiliser l’IA pour différencier, étayer, en travaillant sur la consigne et en élaborant des dispositifs de différenciation.
Voici le plan de la séquence que j’ai menée. Tous les exercices d’écriture ont été rédigés dans le « carnet d’écriture » des élèves, objet qui a été mis en place dans toutes les classe de français cette année.
Les Intelligences Artificielles proposent-elles des dispositifs d’aide satisfaisants ?
Dans le "cadre d’usage de l’IA en éducation" qui a été publié sur Eduscol en juin dernier, il est bien précisé que les enseignants peuvent avoir recours aux IA dans la phase de préparation des cours : "Pour ses tâches pédagogiques (assistance à la préparation de cours, à l’évaluation,
à la correction, etc.), tout enseignant peut utiliser des IA accessibles au grand public,
sous sa responsabilité sachant que, comme toute donnée ou information utilisée à des fins
d’enseignement, les productions générées par l’IA doivent être vérifiées et croisées
avec d’autres sources."
Dans le compte-rendu de mon expérimentation, nous verrons quel étayage est proposé par les 4 IA que j’ai sollicitées. Pour terminer, nous verrons ce qu’on pourrait garder de chaque proposition pour en faire un document pour la classe.
2. Mon protocole de test
J’ai soumis à Claude, Perplexity, Gemini et ChatGPT la même série de prompts afin de garantir une comparaison objective.
Prompts utilisés | |
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Présentation du projet pédagogique | Je souhaite travailler avec mes élèves de 3è sur le thème de l’autobiographie. |
Demande de consignes d’écriture | Je vais faire une analyse littéraire de l’introduction des Confessions de Rousseau (NB : j’ai joint le texte) pour définir ce qu’est un pacte autobiographie, puis mes élèves vont écrire le leur. Rédige moi une consigne. |
Recherche d’étayage et de différenciation | Je prends en note ton sujet. Je veux maintenant que tu me proposes des pistes d’étayage et /ou de différenciation pédagogique. Certains élèves sont en grande difficulté face à l’écriture. |
Développement d’une banque lexicale | Développe d’abord la banque lexicale. |
Propositions d’amorces de texte | Maintenant, passons aux amorces pour chaque paragraphe. |
Génération de compétences évaluables | Quelles compétences pourrais-je évaluer avec cet exercice d’écriture ? |
Demande d’une grille d’évaluation | Prenons les 3 premières compétences. Je voudrais que tu me génères une grille d’évaluation selon 4 paliers (non acquis, en cours d’acquisition, acquis, dépasse les attendus). |
3. Les consignes reformulées par les IA
Chaque IA est examinée afin d’établir plusieurs caractéristiques : les consignes sont-elles formulées de façon compréhensible pour des élèves de 3ᵉ ? Fournissent-elles des étapes pour guider la rédaction ? Invitent-elles à une expression personnelle ? Correspondent-elles aux attentes du niveau de 3è, sont-elles accessibles à l’ensemble de la classe ? Donnent-elles envie d’écrire ?
Pour résumer :
– IA 1 : Bonne clarté et structuration, adapté aux élèves, très scolaire.
– IA 2 : Analyse approfondie mais moins centrée sur la consigne d’écriture.
– IA 3 : Stimulant sur le plan créatif mais exigeant.
– IA 4 : Accessible, mais moins structuré.
4. Les propositions d’étayage et de différenciation
Les mêmes grands axes reviennent dans les propositions :
– Banque lexicale
– Modèles
– Canevas d’écriture
– Travail collaboratif
– Niveaux de complexité croissants
– Adaptation du temps et des consignes
Mais quelques idées sont plus originales que d’autres :
– Claude : travail sur le brouillon à l’aide d’une carte mentale pour visualiser les éléments du pacte autobiographique. Propose une dictée à l’adulte, un texte à trous et un travail en binôme.
– Gemini offre un modèle à trous et une différenciation par niveaux de difficulté. Propose à l’enseignant des postures à adopter en classe en insistant sur l’importance du climat de bienveillance.
– Perplexity permet un travail en binôme, une dictée à l’adulte et des supports variés. Fait varier les supports (bande dessinée, création d’une vidéo).
– ChatGPT : travail au brouillon sur "ce que je veux dire / ce que je préfère garder privé / comment je veux me présenter". Favorise un accompagnement individuel, des amorces de phrases et une approche orale.
On ne retiendra pas les propositions de texte à trous, par trop guidés et contraignants, qui ne favorisent pas la construction de l’autonomie.
5. Les banques de vocabulaire
Il est important de noter que, dans le cadre des nouveaux programmes publiés à partir de 2025, le réseau lexical, son organisation et son réinvestissement sont des éléments cruciaux. La génération de ces réseaux par l’IA permet aux enseignants de gagner un temps précieux.
Aucun mot n’est isolé dans la langue. Le professeur veille donc à favoriser leur mise en réseau, – selon leurs relations sémantiques (champs lexicaux, synonymie, polysémie, etc.), morphologiques (dérivation), ou historiques (étymologie). Par des approches explicites, il permet à l’élève de construire une organisation de ces relations, en développant sa conscience linguistique.Projet de programmes de français du cycle 4 – mai 2025, p.34
Organisation des champs lexicaux | Richesse du vocabulaire | Originalité des amorces | |
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Claude Propose de faire des affiches ou de petites cartes avec les boîtes à mots. |
Organisation détaillée et compréhensible. Le plus : « Expressions pour s’adresser au lecteur » |
Niveau de langue soutenu, permet d’enrichir l’expression des élèves. | Les amorces correspondent à la structure proposée par l’IA dans la reformulation de la consigne. |
Gemini Liste très longue, à retravailler pour ne pas décourager les élèves. |
Chaque champ lexical est décliné en classes grammaticales. Les « Activités pour enrichir le lexique » s’adressent au professeur et non à l’élève. On déborde largement du cadre attendu. |
Courant à soutenu, avec certains mots pris dans le texte de Rousseau : « méprisable, vil, bon, généreux, sublime. » | Structure en 3 parties bien définies, avec des amorces intéressantes et compréhensibles. |
Perplexity Là encore, la liste est longue |
Les amorces et le lexique sont mêlés. Le plus : la proposition de connecteurs pour organiser le propos. |
Vocabulaire assez pauvre, qui manque de profondeur. On attend plus de termes soutenu pour enrichir les textes des élèves. | Les amorces sont des phrases complètes, et non des propositions à compléter par l’élève. |
ChatGPT Propose de petits paragraphes en guise d’amorce |
Les champs lexicaux sont déclinés dans des phrases entièrement rédigées : quelle place reste-t-il à la créativité de l’élève ? | Niveau de langue courant à soutenu. | Les modèles inspirés par Rousseau sont intéressants, mais l’IA propose davantage une correction qu’une aide à apporter à l’élève : les amorces sont des phrases entièrement rédigées. |
Tous les éléments fournis par les IA sont un terrain favorable à l’exploration lexicale. Une fois les réseaux générés, à l’enseignant de s’en emparer, et d’engager sa classe à en faire de même. On peut imaginer, en préparation du travail d’écriture, de réaliser une corolle lexicale ou un arbre à mots. Une séance spécifique sur le champ lexical de la sincérité et de la vérité peut ainsi être programmée, ce réseau lexical devant ensuite être utilisé par les élèves dans leur écrit. Pour garder trace des nouveaux mots, on n’hésitera pas à les faire noter dans un carnet de mots, qu’il s’agisse d’un cahier ou d’un tableur organisé par onglets, en étant attentif au classement thématique et non alphabétique.
6.Document Final
Voici le document que je donnerai à la rentrée à mes élèves de troisième.
Les aides sont les mêmes pour tous, mises à la disposition de chacun, les élèves seront libres de les utiliser ou pas.
7. Pour conclure
Pour terminer, on peut estimer que cette expérimentation montre que les IA peuvent aider à accompagner l’écriture, puisqu’elles proposent des outils pour enrichir le vocabulaire (comme des banques de mots ou des amorces de phrases), et des consignes qui peuvent laisser apparaître une proposition de plan, des directives qui guident les élèves.
Mais tout n’est pas parfait, et il faut utiliser cet outil de façon clairvoyante : certaines IA ne répondent pas au prompt, d’autres en font trop ou prennent trop de place. Par exemple, la génération de texte lacunaire – non évoqué dans cet article – laisse trop peu de place à l’expression personnelle. Il est donc indispensable en tant que professeur de garder un œil critique sur les résultats obtenus, de ne pas les utiliser tels quels mais bien de faire une sélection et de se poser la question : qu’est-ce qui va être utile à la construction des compétences de mes élèves ?