Lire Flaubert pour penser aujourd'hui : une lecture du "dictionnaire des idées reçues" - Lettres - Académie de Normandie

Lire Flaubert pour penser aujourd’hui : une lecture du "dictionnaire des idées reçues"

Écrire un dictionnaire des idées reçues 2.0, ou plus exactement, sa version contemporaine, est un travail qui a été mené avec deux classes de troisième durant l’année 2020/2021, au collège Marcel-Grillard de Bricquebec, dans la Manche. Il est un des projets menés dans le cadre des Travaux académiques mutualisés 2020-2021 portant sur la lecture des oeuvres complexes, auxquels l’académie a participé.

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Lire Flaubert pour penser aujourd’hui.

Un projet menée par Grégory DEVIN, professeur de Lettres et formateur académique.

L’objectif était d’amener les élèves à lire, mais surtout à s’approprier, une œuvre complexe. Ce travail a permis d’étudier les notions de critique, de satire, d’ironie, de second degré, ainsi que certains outils de la langue, et s’est inscrit dans l’entrée littéraire et culturelle du programme “ Vivre en société, participer à la société : Dénoncer les travers de la société”.
Une question est au centre du projet : comment donner place et sens aux œuvres de FLAUBERT aujourd’hui, alors qu’est célébré le bicentenaire de sa naissance ? Comment lire et faire une œuvre « complexe » ? Et si justement la complexité était source de renouvellement de l’acte de lecture et d’un plaisir inédit ?

Le projet a été présenté pour la première fois à l’occasion du Plan National de Formation 2021, le 10 mai 2021. De nombreux documents en lien avec le travail mené sont accessibles directement sur le parcours Magistère dédié, via la page consacrée aux Rendez-vous des Lettres..


 I- Compétences travaillées

 1. Plusieurs champs de compétences ont été travaillés au cours de ce projet :

  Des compétences de lecture : le développement d’une identité de lecteur capable de comprendre, d’interpréter les textes et de restituer son interprétation
  Des compétences d’écriture : l’utilisation de l’écrit pour penser et apprendre ; l’adoption de stratégies et de procédures d’écriture efficaces ; l’exploitation de ses lectures pour enrichir son écrit.
  Des compétences orales : le développement d’un oral en interaction afin de partager sa lecture et d’aiguiser sa pensée ; le développement d’un propos personnel face à un public.

 2. Parmi les 5 domaines du CRCN, plusieurs ont été travaillés au cours du projet :

  Domaine 1- Informations et données : la pratique d’une veille informationnelle afin de rassembler les traces numériques laissées par l’œuvre de l’écrivain
  Domaine 2 – Communication et collaboration : collaborer, partager et publier un « dictionnaire des idées reçues 2.0 »
  Domaine 3- Création de contenus : création d’un document textuel en ligne issu du travail coopératif et collaboratif des 2 classes de 3ème afin de partager leurs propositions d’articles de dictionnaire.
  Domaine 4- Protection et sécurité : identification des sources de l’information, analyse des données collectées.

  2. Organisation :

2 classe de 3ème ont été impliquées au cours d’un projet qui s’est étendu sur 7 semaines. Les séances se sont toutes déroulées en classe entière, dans le cadre ordinaire du collège.
Il s’agit d’un travail mené sous la responsabilité du professeur de français, Grégory DEVIN, dans le cadre ordinaire de la classe. Des séances en interdisciplinarité avec le professeur d’Histoire-Géographie, Laurent SICCARD, ont été conduites en amont de la lecture de l’œuvre flaubertienne.
Plusieurs outils et espaces numériques ont été exploités :
  L’ENT du collège
  Des ordinateurs présents dans la classe et en réseau ; des tablettes connectées en wi-fi, les téléphones des élèves

  3. Descriptif de l’activité et des outils

Trois grandes étapes structurent le projet. L’étude du dictionnaire des idées reçues prend place en effet dans un ensemble plus vaste visant à confronter les élèves à des œuvres complexes, à leur permettre de développer les compétences de lecture et d’analyse suffisantes avant d’entrée dans l’étude proprement dite du dictionnaire.
Étape 1- une semaine : la lecture liminaire de la nouvelle Un cœur simple
L’objectif était tout d’abord de permettre aux élèves de prendre contact avec l’univers de l’auteur et son écriture, mais aussi de se familiariser avec cette lecture en liberté, le professeur se tenant volontairement en retrait, mais bien évidemment toujours disponible. Seul primait ici l’œuvre et sa rencontre avec les élèves.
A leur disposition, des outils numériques pour accéder librement aux ressources d’Internet et consulter ainsi les traces numériques laissées par l’œuvre et son étude sur le web, un guide de lecture avec des questions ouvertes invitant à interroger sa lecture, l’apport de l’expertise des pairs dans le cadre d’un travail de groupe.
Le diaporama joint à cette présentation permet de retrouver l’ensemble des ressources exploitées par les élèves ainsi que le résultat de leurs recherches attestant toutes du développement de leur esprit critique.

L’extrait vidéo permet de suivre le cheminement de lecture engagé en classe.

Cette première lecture a permis aux élèves de se rendre compte de la pluralité des lectures possibles d’une œuvre, tant dans ses modalités – lecture d’extraits, lecture intégrale, lecture de citations- que dans l’examen de son sens. Les collégiens ont ainsi été sensibles aux enjeux du travail interprétatif, progressif et dynamique, procédant par aller et retour de et vers le texte, du texte vers les élèves, des élèves entre eux et vers le texte.
Les élèves ont en outre pris plaisir à construire véritablement le sens de leur lecture, non donné d’avance comme un « prêt-à-penser ». La combinaison lecture autonome, exercice de sa responsabilité, travail coopératif et collaboratif prenant appui sur l’exploitation d’outils numériques constitue une combinaison manifestement féconde au service du développement des compétences de lecture des élèves comme de leur plaisir de lecture.

Étape 2- trois semaines, menée parallèlement à la première dans le cadre d’un travail interdisciplinaire : une étude de documents complexes, en lien avec le programme commun de français et d’histoire-géographie et l’éducation aux médias et à l’information.

L’enjeu était de mettre les élèves face à des documents, qui sans analyse de leurs contextes, ne pouvaient prendre sens. En groupes, et dans le cadre de séances co-animées, les collégiens ont donc fait le choix des documents avant d’en mener une analyse. Apprenant à progresser par essai et erreur et en bénéficiant d’avis d’experts contactés sur les réseaux sociaux, ils ont appris à développer leur pensée. Ils sont appris à prendre confiance en eux à l’issue d’un travail d’analyse qu’ils ont pu présenter devant leurs pairs. Les élèves étaient désormais prêts à entrer dans l’œuvre de FLAUBERT, le dictionnaire des idées reçues.

Étape 3- trois semaines : de la lecture du dictionnaire des idées reçues à l’écriture d’un dictionnaire 2.0 des idées reçues.

Pour commencer cette courte séquence, un état des lieux a été mené, qui a servi au professeur d’évaluation diagnostique : on demande aux élèves ce qui les révolte aujourd’hui. La consigne était de faire parvenir par mail (nous étions alors en période de confinement) une dizaine de thèmes qui suscitaient particulièrement leur indignation, sous la forme d’une liste argumentée.
Ce premier état du dictionnaire, ce prototype (puisque c’est de cela dont il s’agit) s’est avéré très “premier degré”, fidèle à ce qu’une ou un jeune d’aujourd’hui peut ressentir face à l’état du monde : fort sentiment d’injustice face aux formes de discrimination, de violence… Ce catalogue, dont on peut observer quelques extraits ci-dessous, rassemblait des valeurs certes uniformément partagées et transmises, mais en l’état, non réellement discutées, réfléchies, faites siennes.

Le deuxième temps a consisté à prendre connaissance du texte de Flaubert, de façon très libre, à travers deux questionnements simples : quel est à votre avis le projet de l’écrivain ? Que souhaite-il faire à travers ce dictionnaire ? Bien entendu, étant donné la forme particulière de l’œuvre, les élèves étaient encouragés à aborder les articles de façon personnelle, non-linéaire, selon leurs centres d’intérêt.

Les deux extraits vidéo suivants présentent un temps de travail en classe, illustrant la démarche suivie.


Les réponses ont été variées. Certain(e)s ont tout de suite perçu la visée satirique, d’autres ont pensé au contraire à une sorte de journal intime. D’une façon générale, ils ont été sensibles à deux éléments en particulier : la dimension très subjective des articles (l’auteur écrit ses propres définitions) et la très grande liberté de ton, qui les a fortement impressionnés.
L’étape suivante a été de proposer aux élèves d’exercer eux aussi cette liberté de penser, en écrivant à leur tour des articles caustiques, satiriques, en s’essayant au second degré… sur le monde d’aujourd’hui, qui partaient de leurs premières définitions, mais en les transformant de façon plus personnelle, ironique, critique.
La réflexion s’est alors précisée, quittant les généralités pour investir davantage le réel. À cet égard, Flaubert a constitué un guide : l’analyse du texte à travers ses procédés d’écriture (ironie, emphase, antiphrase, concision, ellipse…) mais aussi les thèmes abordés (sociaux, politiques, triviaux…) a permis aux élèves d’améliorer progressivement leurs brouillons.
Voici par exemple la progression d’une élève, de ses premières tentatives jusqu’à la reprise, sous une forme personnelle, de deux articles figurant déjà chez l’écrivain :

Autres exemples, révélant la manière dont les élèves se sont peu à emparés de cette écriture de la concision propre à FLAUBERT dans le dictionnaire et comment ils ont progressivement resserré et aiguisé leur pensée pour frapper avec ironie le lecteur :

Concernant le dispositif en classe, les élèves écrivaient d’abord leurs articles sur leur cahier de brouillon, individuellement, puis les recopiaient ensuite sur un document collaboratif en ligne, grâce à une tablette connectée. Ce document était vidéo-projeté au tableau. Chacun pouvait ainsi apprécier et observer les idées des autres. Cela permettait de s’inspirer mutuellement, de critiquer, de débattre, et bien entendu, pour l’ensemble du groupe, de profiter des conseils d’amélioration donnés par le professeur, tant au niveau de la forme que du fond.
D’autres exemples encore d’articles écrits par les élèves :

En reprenant ceux de Flaubert :

• Allemands : Toujours la bière et les bretzels à la main.
• Autruche : met la tête dans le sable.
• Baccalauréat : condition pour réussir sa vie.
• Barbe : signe de virilité.
• Chameau : une ou deux bosses ?
• Château : Lieu où vivent les princesses.

Et en inventant de nouveaux :

• Suisses : tous très gentils, riches et aiment le chocolat.
• Italie : Fabricants de pâtes.
• Poisson : en manger rend intelligent.
• Venise : ville romantique.
• Français : ont toujours raison, même quand ils ont tort.
• Cigognes : Elles apportent les enfants.
• Carotte : Rend aimable.
• Professeur de mathématiques : adepte de la calvitie et de la chemisette à carreaux.

  4. Corpus et supports utilisés

 deux œuvres de Gustave FLAUBERT ont nourri le travail : Un cœur simple et le Dictionnaire des idées reçues.
 Le diaporama joint permet de retrouver l’ensemble des références travaillées, les différents supports des travaux des élèves ainsi que des extraits de séquences vidéos de cours.

  5. Bilan

Au final, les deux classes de troisième ont pu produire plusieurs centaines d’articles, d’une qualité évidemment variable, mais qui témoignaient tous d’une véritable réflexion personnelle.
Si bien entendu tous les élèves n’ont pas lu le Dictionnaire des Idées Reçues dans son intégralité (mais ce texte porte-t-il vraiment le projet d’une lecture linéaire ?) ils l’ont en revanche parcouru au gré de leurs recherches, et ont pu se l’approprier à travers leurs productions écrites. Ce travail leur a donc permis de découvrir un grand écrivain du patrimoine français, d’exercer leur esprit critique de façon concrète et authentique, tout en renforçant leurs compétences de lecture et d’écriture.

Plusieurs points ont été mis en lumière, au service plus largement de la lecture des œuvres complexes en classe.
Il apparaît ainsi que la création d’un lien authentique entre les élèves et l’œuvre lue, prenant appui sur les expériences quotidiennes et personnelles des élèves, sans que cela dénature l’œuvre, constitue un levier extrêmement puissant.
Le projet démontre aussi qu’une entrée « directe » dans l’œuvre est possible, en mettant les élèves en position de lecteurs-chercheurs. Leur responsabilité n’en est que plus grande, leur plaisir de lecture également. Il s’agit finalement de prendre en compte la structure même de l’oeuvre, sa composition, sa
complexité, sans vouloir la réduire dans un souci de simplification.
Les élèves sont capables de faire face à cette résistance, de l’accueillir et de s’appuyer sur leurs erreurs leurs tâtonnements, leurs contresens pour progressivement accéder au sens.
Finalement l’enjeu est de ne pas chercher l’exhaustivité d’une lecture, mais plutôt de laisser place à une rencontre libre et responsable avec une œuvre au service du développement de la pensée et du plaisir des jeunes lecteurs, mis en posture motivante de recherche.

 Perspectives :
Le projet, mené en partie pendant le confinement, n’a pas pu prendre toute l’ampleur souhaitée, en particulier pour enrichir davantage encore le projet d’écriture qui pourra donc reprendre.
La démarche, en dehors de ce contexte particulier, est transférable dans tous niveaux de classe.