Dire l'amour en apprenant à rendre compte de ses lectures - Lettres - Académie de Normandie

Dire l’amour en apprenant à rendre compte de ses lectures

Madame LENESECHAL-GALLE rend compte du travail mené avec ses élèves de 4ème au collège de Dives-sur-Mer.
Comment ainsi apprendre à dire l’amour en tirant parti de ses lectures ?
L’analyse du projet mené souligne l’intérêt d’un travail conjoint de l’oral et de la lecture.

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 Tisser étroitement la lecture littéraire et une prise de parole instruite, construite et argumentée, voilà ce que donne à voir cette réalisation pédagogique exigeante et particulièrement attentive à la notion, essentielle s’il en est, d’autonomie. Ces élèves de quatrième ont été invités à interpréter, puis à mettre des mots sur leur réception d’un texte poétique. Ils ont ainsi pu s’exprimer en tant que sujets sensibles tout en construisant des compétences expertes qui seront précieuses au lycée. Les échanges entre pairs, les rétroactions fréquentes de l’enseignante, l’auto-évaluation et l’évaluation par les pairs sont autant de leviers qui ont permis à chacun de progresser à l’oral mais aussi en lecture.


 1- Présentation de l’action

Établissement, classe : Collège Paul Eluard à Dives-sur-mer (14), Classe de 23 élèves de 4e.

Constat initial : Beaucoup d’élèves rencontrent des difficultés pour s’exprimer oralement avec aisance et justesse. Dans l’établissement, des actions pédagogiques transversales sur l’oral sont engagées sur les cycles 3 et 4.}
Ce projet mis en œuvre dans le cours de Français a pour objectif de renforcer, par et pour le travail sur les textes, les compétences orales des élèves.

Lien avec le programme : La séquence de travail proposée se rattache à l’entrée « Se chercher, se construire : dire l’amour » en 4e : un corpus de huit textes est proposé à la classe. Les œuvres ont été choisies de manière à donner à voir les variations de l’expression du sentiment amoureux à travers les siècles.
Les élèves, repartis par groupes, choisissent de travailler un de ces textes. Ils doivent rendre compte à travers l’enregistrement d’une émission de radio, de leur lecture, interprétation, compréhension (sing) du texte choisi.

Corpus étudié :
 un extrait de « Tristan et Iseult » ( XIII )
 le sonnet VII de Louise Labé « Je vis ; je meurs » (1555) ;
 une lettre adressée à Léonie Biard de Victor Hugo
 « Mon rêve familier » de Verlaine (1866)
 « Un Hémisphère dans une chevelure » de Baudelaire (1869)
 « Le Pont Mirabeau » de Guillaume Apollinaire (1912)
 « La Courbe de tes yeux » de Paul Eluard (1926)
 le slam « Roméo kiffe Juliette » de Grand Corps Malade (2010)

Objectifs didactiques et pédagogiques : Les compétences orales sont mobilisées et travaillées à double titre pour réaliser ce projet : support de travail pour communiquer, échanger et construire, l’oral est aussi objet d’enseignement puisque les élèves sont amenés à élaborer des discours complexes (sur les textes) tout en respectant le genre codifié de l’émission radiophonique.
Les compétences de compréhension, d‘interprétation des textes sont également fortement sollicitées : les élèves, à l’aide de ressources mises à disposition, doivent élaborer des stratégies pour être en mesure d’exprimer un point de vue personnel sur le texte puis de porter un regard plus distancié afin d’en faire l’analyse.
Le projet vise en outre à poursuivre le développement de l’autonomie des élèves et leur capacité à construire un projet commun.

Connaissances mobilisées et développées.
Compétences travaillées : Participer de façon constructive à des échanges oraux.
Être capable de présenter de façon ordonnée des informations et explications, d’exprimer un point de vue personnel en le justifiant au sein d’une intervention orale de cinq à dix minutes.
Élaborer une interprétation des textes littéraires (percevoir un effet esthétique et analyser les sources ; formuler ses impressions de lecture ; si besoin situer une œuvre dans son contexte pour enrichir sa lecture)

Connaissances mobilisées : connaissances lexicales, historiques et littéraires en lien avec les textes.

Durée, organisation : Le projet final est construit tout au long de la séquence qui s’étend sur trois semaines, en classe entière.


 2- Description du projet

La séquence présentée a été conçue dans le cadre d’une réflexion menée au sein d’un groupe de travail sur le développement des compétences orales des élèves. L’objectif final du projet est de réaliser une émission de radio afin de mettre en valeur le texte littéraire étudié.
Il s’agit donc de faire de l’oral un objet de travail, comme un support de travail au service du développement des compétences de lecture et de l’éveil de l’esprit critique. Les élèves sont mis en situation de travail d’équipe durant l’ensemble du projet.
Une première séance est consacrée à la découverte du corpus proposé pour cette séquence. Chaque groupe constitué par l’enseignante a pu, à l’issue de cette première séance, choisir le texte sur lequel portera son travail.
Chaque groupe se voit ensuite remettre une « feuille de route » , accessible en annexe, contenant six étapes de travail à réaliser pour mener à bien son projet.
Une fiche d’évaluation (auto-évaluation ou évaluation par les pairs, au choix des élèves), accessible également en annexe, est mise à disposition au moment des premières tentatives d’enregistrement.
Une fois tous les projets restitués, quelques heures sont consacrées à l’écoute des prestations de chaque groupe.


 3- Entretien

Madame LESENECHAL-GALLE s’est entretenue avec Caroline LETEINTURIER, IAN-Lettres de l’académie. Voici la restitution de leur échange qui permet de mettre en perspective le travail mené tout en apportant des précisions.

Quel est selon vous l’intérêt principal de cette action ?
Cette expérimentation porte essentiellement sur les méthodes et solutions possibles permettant aux élèves de progresser, de développer leurs compétences et améliorer la qualité d’une prestation orale. Elle vise à donner une véritable place à l’oral au sein de l’enseignement des Lettres, à la fois pour lui-même comme objet d’apprentissage et au service des autres dominantes du français, plus particulièrement la lecture et l’écriture.
C’est en effet une séquence que je menais déjà mais que j’ai remaniée complètement grâce aux échanges avec les collègues du groupe de travail sur l’oral. J’ai intégré une dimension numérique, car l’utilisation des enregistrements permet aux élèves de revenir facilement sur leurs prestations et de garder trace des modifications, des progressions. Par exemple, lors de la lecture oralisée du texte qu’ils devaient réaliser pour l’émission, les élèves se sont rendu compte par eux-mêmes des points à améliorer. L’utilisation des enregistrements permet un travail en autonomie, à ritualiser pour les faire progresser à l’oral.

Un collègue souhaite s’inspirer de votre travail et vous demande conseil : que lui diriez-vous ?
Dans chacune de mes séquences, les élèves ont au moins une activité à réaliser en équipe et une restitution à faire à l’oral devant la classe. Je pense qu’il est souhaitable lorsqu’on se lance dans un projet comme celui-ci, que les élèves aient déjà été habitués à travailler régulièrement ensemble et à l’oral.

Avez-vous rencontré des difficultés ? de quel ordre ? comment les avez-vous surmontées ?
L’organisation de l’espace n’a pas été simple : j’ai eu souvent besoin d’isoler les différents groupes, dans différentes salles, notamment lors de la partie consacrée aux enregistrements et à l’écoute des « premiers jets ». J’ai réussi, non sans mal, à organiser ces séances, en investissant les salles de certains collègues qui n’avaient pas cours à ce moment-là, mais cela n’était jamais très confortable pour les élèves, comme pour moi.
D’autre part, la correction des imperfections liées à la qualité de l’oral ou à la maîtrise de la langue est quelque chose qui pose des soucis aux élèves. Ils ont beau savoir que telle ou telle structure de phrase est fautive, par exemple, ou que telle liaison serait nécessaire, lorsqu’ils reviennent « au direct » les mêmes erreurs reviennent souvent. Ceci est souvent expliqué par une grande anxiété associée à ce type de prise de parole enregistrée, qui rebute la plupart d’entre eux, déjà peu à l’aise à l’oral. Cependant, j’ai trouvé intéressant qu’ils repèrent aussi bien leurs erreurs et certains, tout de même, sont parvenus, au fil des nombreux enregistrements, à se corriger.

Enfin , La partie la plus difficile pour eux, dans la préparation du projet, a été de développer et justifier leur ressenti face au texte. J’avais parfois le sentiment qu’ils avaient compris le texte mais ne se sentaient pas légitimes pour exprimer un ressenti fiable. Ce problème vient donc avant tout d’un manque de confiance en eux. Cependant, je pense qu’il s’agit également d’une pauvreté lexicale ne leur permettant pas toujours de désigner clairement et de manière nuancée un ressenti qu’ils ont souvent du mal à interpréter.

Quelle a été la réception/réaction des élèves ?

Pendant tout ce projet, les équipes ont été motivées et portées par l’activité proposée. Le travail de groupe a été particulièrement efficace et les élèves se sont vraiment investis face aux textes donnés, me surprenant même lors de certains échanges. Ils n’étaient pas toujours d’accord sur l’analyse ou le ressenti des uns et des autres face aux textes, mais les débats se sont toujours déroulés avec respect. Je tiens à souligner que c’était une classe, certes un peu faible, mais dans laquelle un véritable esprit d’entraide existait déjà et qui a, tout au long de l’année, travaillé très régulièrement en équipe avec toujours beaucoup de succès. Le niveau d’ensemble ne leur permettait pas d’aller très loin dans l’analyse des textes, mais leur motivation et la qualité de leur écoute me permettaient vraiment de les aider et de les faire avancer, lors de nos échanges.
Les élèves de quatrième savent déjà qu’en troisième ils auront plusieurs prestations orales obligatoires et importantes (le « 180 secondes » et les oraux liés à la préparation de l’oral du Brevet). En général, même si cet exercice les angoisse énormément, ils savent qu’il est important de s’investir rapidement et cela les motive. Cependant, il est essentiel, selon moi, de prendre en compte cette angoisse, de leur dire qu’elle est légitime mais gérable. J’accompagne donc régulièrement ces séances autour de l’oral de moments d’échanges autour de leurs appréhensions et de séances de relaxation pour les aider à gérer leurs émotions, leur respiration et par la même occasion, leur voix.

Dans quelles compétences les élèves ont-ils particulièrement progressé ?
Ce travail a vraiment permis à chaque élève de progresser, que ce soit au sein des échanges avec son groupe, ou dans l’observation de sa propre prise de parole au fil de la séquence. La motivation, ainsi que l’autonomie de la classe ont grandement facilité les choses et m’ont aidé à trouver des solutions à toutes les contraintes d’organisation liées au projet.
Le travail sur le texte a demandé à chaque groupe beaucoup d’autonomie, ce qui n’a pas toujours été très confortable pour eux qui pensaient (souvent à tort !) n’avoir pas compris le texte (d’autant plus s’ils ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur une interprétation).
Pour guider l’analyse, j’ai proposé pour chaque texte une série de mots-clés ainsi que des ressources sur lesquels les élèves pouvaient prendre appui pour répondre à la question : « Dans le texte donné, quelle image l’auteur donne-t-il de l’amour et quels procédés littéraires utilise-t-il pour créer cette image ? »

Avec le recul, pensez-vous que des ajustements seraient souhaitables ?
Ce projet est forcément perfectible et des outils doivent encore être trouvés, travaillés, approfondis, afin de permettre aux élèves de progresser de manière encore plus efficace. Cependant, je pense que l’écoute d’enregistrements, même si elle est douloureuse pour beaucoup d’élèves, est nécessaire et très profitable. C’est donc une méthode que je réutiliserai, souvent, dans mes différents projets autour de l’oral, dans les années à venir.

Comment avez-vous évalué le projet/ l’action ? Quelles conclusions en tirez-vous ?

Une grille d’évaluation a été distribuée aux élèves dès le premier enregistrement. Cette grille (dont ils connaissaient déjà quelques critères ayant permis d’évaluer l’activité « La minute de l’info » en début d’année), pouvait être utilisée en autoévaluation ou servir une évaluation par les pairs au sein du groupe. J’ai accordé beaucoup d’importance, dans ce projet, au fait qu’ils puissent, grâce au premier enregistrement « brouillon », se rendre compte des imperfections de leur travail (problème d’organisation ; prises de paroles inadaptées ; rythme de la parole trop lent ou trop rapide ; fautes de langage…) j’ai donc insisté sur le temps d’écoute en leur demandant d’y accorder beaucoup d’importance. Souvent, ils ont bien vu les problèmes, et même parfois d’eux-mêmes, ont su proposer des solutions aux camarades. De mon côté, j’ai longuement écouté leurs premières prestations afin de leur transmettre des conseils liés à l’organisation de l’ensemble ou à leurs prestations individuelles : ce travail d’écoute et de restitution prend du temps, mais est primordial pour garantir des conseils vraiment ajustés aux besoins des élèves et ainsi donner des pistes concrètes pour progresser.
C’est cette même grille d’évaluation qui m’a permis d’évaluer le travail de chacun lorsque les projets ont été terminés.


Retrouvez en annexe les documents exploités dans le projet :

Annexe 1  : Feuille de route distribuée à chaque groupe dès le lancement du projet (objectif / compétences travaillées / étapes / conseils)

Annexe 2 : Fiche d’autoévaluation/évaluation par les pairs, puis évaluation par l’enseignante.

Annexe 3 : un exemple de productions d’élèves (à venir).

Documents joints