Analyser un texte en menant une enquête. - Lettres - Académie de Normandie

Analyser un texte en menant une enquête.

Comment amener les élèves à mettre des mots sur leur expérience de sujet-lecteur ? Comment les faire passer de "spectateurs" à "commentateurs" du texte et ainsi les préparer aux exercices de l’EAF ?

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 Préambule

Il n’est pas rare qu’un professeur de lycée se trouve à un moment confronté à deux constats : la difficulté des élèves à enclencher une réflexion active sur le texte et la difficulté pour eux à s’approprier le langage de l’analyse de texte. De là, les nombreuses sollicitations d’élèves du type : « Madame, je sais pas quoi dire... », « Monsieur, j’ai rien compris, j’ai rien à dire... » et autres « C’est quoi un procédé ? C’est quoi le genre du texte ? » qui souvent poussent l’enseignant dans les cordes de la pédagogie, coincé entre ce qui lui semble constituer une évidence et ce qui n’en est absolument pas une pour l’élève.
Le texte littéraire offre souvent peu d’aspérités pour les apprenants, lesquels se sentent souvent mis à distance sur le plan culturel (Ronsard ? Racine ? Voltaire ? Le symbolisme ?) et sur le plan intellectuel (genre ? tonalité ? problématique ? procédé ? interprétation ?), ne percevant pas toujours le lien entre ce qu’ils savent de la littérature et ce qu’ils peuvent ou doivent en faire. D’où cette sensation d’être "perdu" pour bon nombre d’élèves.

 Présentation générale

Le premier constat, la difficulté à enclencher une réflexion active, découle d’un problème patent : « quelle posture me demande-t-on d’adopter lorsqu’on me donne un texte ? » Il n’est pas toujours évident pour un élève, même lecteur, et a fortiori lorsqu’il l’est, de saisir ce qu’on attend de lui. Un élève sensible au texte éprouvera parfois des difficultés à quelque peu "déconstruire" ce dernier, et se laissera aisément aller au piège de la paraphrase. Un élève plus « hermétique », quant à lui, pourra se conforter rapidement dans une position inactive, prétextant qu’il n’aime pas lire, qu’il n’a rien ressenti. Pour cette raison, le protocole emprunte une partie de sa rhétorique à celui de l’enquête policière, afin de mettre de manière concrète les élèves dans une démarche de recherche. Le jeu de rôle consistant à endosser celui d’un enquêteur permet de faire fi des deux profils évoqués préalablement.

En outre, ce protocole s’ancre dans une réflexion sur l’appropriation des méthodes entre la classe de 2nde et celle de 1ère.

 Un protocole en six étapes

Les six étapes qui composent le protocole sont les suivantes :

1. Découvrir et observer le texte
2. Formuler une hypothèse sur les intentions de l’auteur
3. Rechercher et relever les preuves
4. Identifier les preuves et leur fonctionnement
5. Interpréter les preuves pour les relier à l’hypothèse
6. Valider l’hypothèse et conclure l’enquête

 Objectifs du protocole

Les objectifs poursuivis par le protocole sont les suivants :
 rendre les élèves actifs face au texte
 mettre les élèves dans une posture analytique
 faire écrire les élèves à propos du texte
 enclencher une réflexion sur le texte
 s’exercer au brouillon et se sensibiliser à ses bienfaits
 s’approprier simplement le vocabulaire de l’analyse de texte
 ne pas réduire l’analyse de texte au diptyque : citations / figures de style
 comprendre les attendus des exercices de français

En ligne de mire figurent, bien sûr, le commentaire de texte ainsi que l’explication de texte à l’EAF.

 Supports du protocole

Afin de mettre en place le protocole, trois supports ont été élaborés :

1. Une fiche détaillant le protocole
2. Un outil numérique interactif
3. Un document de suivi pour l’acquisition de la méthode

1. Une fiche en trois parties, pour une appropriation progressive

  1. Une présentation générale du protocole, sa finalité, sa mise en place
  2. Le protocole détaillé, étape par étape, comportant des indications, des pistes de questionnement
  3. Un exemple rédigé « à la manière de » l’élève, prenant appui sur les six étapes du protocole

2. Un outil à portée de clic, pour approfondir ou se sortir du pétrin.
Se présentant comme une version augmentée du premier support papier, cet outil :
 offre une navigation plus libre, afin de répondre plus précisément aux besoins des élèves.
 propose davantage d’indications et d’astuces pour guider les enquêteurs dans leur questionnement.
 vise à renforcer l’autonomie des élèves, sans pour autant les abandonner à l’immensité du web, et à son lot d’inexactitudes.

Lien direct :
https://view.genial.ly/638a16ff85b637001005d236/guide-beta-protocole-denquete-pour-lanalyse-de-texte

QR Code :

Développé via Genially, et par conséquent accessible via smartphone, tablette ou PC .

3. Un document de suivi
 Ce document est individualisé, et sert de navette entre l’élève et le professeur.
 La partie supérieure comporte un tableau permettant d’indiquer aisément à l’élève son degré d’acquisition pour chaque étape du protocole, tout au long de l’année.
 La partie inférieure comporte un tableau critérié (D, C, B, A) pour chaque étape, de manière à positionner l’évaluation de l’élève.

Enquête littéraire - Fiche de suivi

 Mise en place du protocole

Au départ, il paraît préférable que le professeur invite les élèves à mener l’enquête en binôme. L’échange entre les équipiers s’avère rapidement fructueux, et enclenche aisément la mise en activité.
Il est primordial alors de rappeler l’importance de la prise de notes, de la nécessité de mettre en mots leurs idées, en insistant sur le statut de « brouillon » et sur les bienfaits de ce dernier. Ce moment semble en effet opportun pour rappeler les avantages du geste de la rature, par rapport à celui de l’effacement.
Enfin, le protocole offre la possibilité aux élèves de s’enregistrer vocalement. Cet enregistrement n’a de sens que s’il est réalisé dans les conditions du direct, sans montage de la part des élèves. Il semble plus pertinent d’encadrer une première séance, puis de le réserver pour des élèves ayant bien en main le protocole, qu’ils aient ou non des difficultés avec l’écriture.
Les comptes-rendus peuvent être relevés et évalués : la fiche de suivi a été élaborée dans ce sens, comportant pour chaque étape quatre paliers de réussite, que l’élève conservera dans son classeur.

 Exemple de progression

Le protocole d’enquête est un outil évolutif visant à permettre une approche progressive de l’analyse de texte. À ce titre, il semble pertinent de le soumettre aux élèves le plus tôt possible dans l’année, durant le 1er trimestre. Deux possibilités s’offrent alors pour le mettre en pratique :

  1. Sur un texte qui vient d’être étudié préalablement : les élèves auront alors plus de facilités à identifier des éléments, et surtout ne se heurteront pas à d’éventuels contresens.
  2. Sur un texte inédit, dans la continuité d’un texte étudié au préalable, qui partagerait avec lui le genre et le thème.
Au premier trimestre

 Pour une première séance, on peut imaginer jouer pleinement la carte de l’enquête policière en présentant le texte sous l’angle d’une affaire à élucider (avec, pourquoi pas, le décorum de circonstance), sans fournir immédiatement aux élèves le protocole, afin de les interroger sur la méthode à adopter. Le protocole sera ensuite présenté et commenté. La première application du protocole s’effectue ainsi avec le professeur, et peut remplacer l’exemple présenté dans le document type.
 Autre piste envisageable pour une première approche : préparer l’enquête en amont, morceler les preuves et les répartir comme autant d’indices, à la manière d’une scène de crime, puis présenter une série d’hypothèses aux élèves.

 Par la suite, on organisera une séance en autonomie, en laissant les élèves formuler des hypothèses, valides ou non.

 Progressivement, on guidera les élèves quant à leurs hypothèses, que le professeur validera en cours de séance, afin qu’ils se concentrent sur les étapes d’analyse.

Au second trimestre

 Il conviendra d’introduire une séance autour de la construction de plan d’analyse, en partant d’un texte suffisamment riche pour accepter plusieurs hypothèses, afin d’amener les élèves à distinguer hypothèses partielles et hypothèses générales
L’idée, évidemment, est d’avancer méthodiquement vers le commentaire de texte, par exemple, en demandant plusieurs de fournir plusieurs hypothèses et de les valider.

Au troisième trimestre

 Les élèves, plus à l’aise avec le protocole, doivent optimiser son application et produire un commentaire de texte.

 Explication de certains choix relatifs au protocole

Plusieurs choix ont été opérés pour ce protocole, déviant parfois des méthodes que l’on peut rencontrer dans certains manuels.

1. L’adoption d’une terminologie simple et claire.

  • On préférera par exemple la notion d’ « hypothèse  », qui amène les élèves à se questionner plutôt que d’attendre "l’inspiration" à laquelle beaucoup se remettent afin qu’elle leur délivre la sacrosainte "problématique".
  • De même, on parlera volontiers de « preuves  », plutôt que les « procédés », afin de placer les apprenants dans une posture d’investigation, et surtout ne plus cantonner celle-ci à l’identification de figures de rhétoriques, mais embrasser l’ensemble des composantes langagières, comme le lexique, mais surtout la syntaxe, la grammaire ou la ponctuation, trop souvent laissés de côté.

2. À chaque étape, des pictogrammes éclairent les élèves et leur évitent de confondre les deux registres de langue (policier et littéraire)

3. À chaque étape, une numérotation guide les élèves dans la progression de leur réflexion, constituant, notamment au début, des étapes intermédiaires, ne laissant jamais les élèves « sans rien dire »

4. L’accent est régulièrement mis sur la verbalisation avec des indications de formulations simples et modalisées

5. On autorisera et on invitera les élèves à dire « je », "je" qui deviendra rapidement un « nous  » par le biais du binôme

6. On invitera les élèves à "se mettre dans la peau de" pour saisir les enjeux du texte, dans la peau du lecteur et dans celle de l’auteur, afin de favoriser la formulation d’hypothèses et d’interprétations

 Productions d’élèves commentées

Présentation  :
 Le texte donné était un article du sociologue Philippe Aldrin, consacré au phénomène de la rumeur, thème que nous avions traité en classe au préalable.
 Le genre du texte (essai) n’avait pas été abordé en tant que tel.
 Les élèves disposaient alors d’une version antérieure du protocole papier, sans l’outil numérique.
 Les deux élèves sont dyslexiques

Commentaire  :
 On remarque une approche très pragmatique de la forme du texte, ainsi qu’une reformulation assez claire du thème traité.
 Les élèves réemploient la modalisation pour formuler leur hypothèse.
 Le tableau témoigne d’un effort de verbalisation, mais aussi de précision, aussi bien stylistique que grammaticale.
 L’effort d’interprétation se retrouve dans la troisième colonne, où le verbe "montrer" remplace le verbe "être" dans la formulation.

Présentation  :
 Le texte donné est un sonnet de Joachim Du Bellay, "Ô beaux cheveux d’argent mignonnement retors"
 Nous avions préalablement travaillé sur le blason et le contre-blason
 La forme du sonnet n’avait pas encore été (re)vue
 Les élèves disposaient de la version actuelle du protocole, ainsi que de l’outil numérique

Commentaire  :
 Cet exemple est intéressant dans la mesure où l’on perçoit bien les tentatives des deux élèves pour formuler des hypothèses, et faire la distinction entre hypothèse partielle et hypothèse générale

Présentation  :
 Les conditions de réalisation de l’activité sont similaires à l’exemple précédent

Commentaire  :
 Cet exemple montre assez bien l’approfondissement exigé pour l’analyse de texte, avec un étoffement colonne après colonne.
 Certaines remarques frisent l’extrapolation (deuxième page, troisième colonne), d’autres pourraient migrer de l’analyse vers l’interprétation (première page, effet de la métaphore)
 On ne tiendra pas compte des barbarismes

Présentation  :
 Le texte donné est un sonnet de Joachim Du Bellay, "Ô beaux cheveux d’argent mignonnement retors"

Commentaire  :
Cet exemple est instructif à plus d’un titre :
 Il met en évidence le geste de la rature, d’autant plus difficile dans ce cas particulier où les élèves sont extrêmement appliquées et soigneuses dans leurs productions (il a fallu se faire violence)
 On perçoit assez bien les strates de leur réflexion, avec des ajouts (remarque entourée et reliée), des déplacements (lexique du corps de la première ligne à la quatrième), des rectifications (COD "aimer" "vous")
 On perçoit également l’esprit de synthèse (stabilo) qui se met en place et qui aboutit à une validation assez claire de l’hypothèse formulée

 Retour d’expérience

Ce protocole est encore dans sa phase de test, mais donne des résultats satisfaisants dans l’ensemble.

Les points de satisfaction  :

+ Les élèves se mettent volontiers et rapidement au travail
+ Les élèves sont vite autonomes avec les supports fournis, et assimilent les étapes
+ Dans la plupart des cas, la verbalisation est convaincante
+ Aucun élève engagé dans l’activité ne reste sans rien écrire
+ Les élèves s’ingénient à trouver toutes sortes d’hypothèses
+ L’utilisation du support numérique est très positive
+ Il est aisé de faire constater à un binôme que les étapes 4 ou 5 (analyse / interprétation) ne sont pas suffisamment traitées, surtout s’ils font usage d’un tableau à trois colonnes

Les points de vigilance  :

- Il a fallu insister sur le « brouillon », car certains élèves ont tendance à vouloir « faire propre » afin de « rendre leur travail » : la plupart finissent par accepter de raturer plutôt qu’effacer
- Certains élèves ont tendance à se « raccrocher » au protocole, et à vouloir « répondre » à toutes les consignes. Ce qui est dommage, car bien souvent ils ne se rendent pas compte qu’ils ont formulé suffisamment d’éléments pour l’étape concernée (notamment pour les étapes 1 et 2) : il faut donc être vigilant et les mettre face à leur réussite
- Sur l’usage de l’outil numérique : les élèves doivent savoir où ils vont, et ne pas naviguer en voulant « cliquer » sur tout
- L’étape 4 ("analyse de la preuve") laisse régulièrement apparaître de la paraphrase, mais celle-ci est facile à localiser, et les élèves en prennent aisément conscience